Régner sur l'ombre, coup de ♥ de janvier !
Début 2017 a amené sur notre cher forum une plume à suivre ! Antony Crif a su séduire nos membres avec son texte en réponse à notre appel à textes sur le thème : Couronne maudite.
Librement inspiré d'une oeuvre de Conan Doyle, je vous en propose un extrait, en vous encourageant à venir découvrir de toute urgence la suite par chez nous !
Régner sur l'ombre
Une lueur, dans l'obscurité. D'abord un simple rai qui filtre sous la porte du meuble, puis quand il s'ouvre, une bougie et, une seconde plus tard, le visage de mon visiteur. Même si une vitre nous sépare, j'ai l'impression de percevoir son haleine, chargée de liqueurs. Il tourne sa chaise vers ma cage de verre et s'y laisse lourdement tomber. Ensuite il m'observe. Sans un mot. Qu'il m'admire ou me déteste, j'aimerais simplement qu'il me sorte de cette vitrine ou qu'il vienne me scruter à la lumière du jour. Je hais l'obscurité, la solitude, le confinement et dans ce domaine, je suis une experte. Les souvenirs du temps de ma splendeur se sont effacés peu à peu au fil des siècles perdus à ruminer. C'est à peine si, en examinant mon reflet, je peux encore me souvenir de mon éclat passé. Ce dont je me souviens très bien c'est de l'enfermement. Des années, des décennies, des siècles passés dans le néant absolu avec la certitude, petit à petit, de ne plus jamais apercevoir ni le soleil, ni la lumière. Au départ, j'ai cru que cela ne durerait vraiment que quelques mois. Lorsqu'il m' a ôtée de ses cheveux ondulés, Charles Ier a promis que ce serait très bref. Il ne me remplaçait par son casque guerrier que le temps, pour lui et ses armées, de remporter cette guerre civile. J'ai quitté l'île de Wight dans une boîte discrète, j'étais entre de bonne mains, celles des Ralph Musgrave, chef d'une famille de loyaux serviteurs de la couronne. Le voyage a été rapide, je suis arrivée une nuit au manoir de Hurlstone, dans l'ouest du Sussex et la nuit suivante, je prenais le chemin de la prison. Une cellule de quatre pieds carrés et sept de profondeur, aménagée dans les fondations d'une cave et fermée par une dalle si lourde qu'il fallut trois hommes pour la remettre en place. Puis l'attente commença. Je suivais ce qui se passait à la surface, le manoir était à cette époque, beaucoup moins vaste et j'entendais la maison bourdonner de rumeurs. Je fus affligée de savoir que mon roi avait été arrêté ; le jugement fut un déni de justice. Celui dont j'avais fièrement orné la tête fut condamné pour haute trahison et exécuté. Je repensais à son visage, j'aurais presque pu le voir, gravé sur les pièces de monnaie qu'on avait déposées avec moi dans la boîte. Censées prouver mon authenticité, elles seraient les dernières images que je verrais de lui... Pour moi, ses dernières paroles n'avaient pas de sens, il avait certes parlé de moi, mais, était-ce pour me maudire ? J'ai craint quelques temps que cet odieux Cromwell se lance à ma recherche pour me fondre comme le reste des joyaux de la couronne. Je sais que mon gardien lui-même y a pensé, c'est pourquoi il a tant tardé à mettre son héritier dans la confidence. Conscient que sa fidélité aux Stuarts le mettait en danger, Ralph imagina un moyen de révéler mon emplacement qui ne serait lisible que par son héritier. Un rituel composé de questions et de réponses que je l'ai entendu composer, corriger, ciseler jour après jour. Pour moi, chaque indication était limpide et je trouvais très ingénieux cette façon de me localiser d'après l'ombre des grands arbres. Bel hommage à la majesté que j'incarnais. Le fils atteignit sa majorité, il apprit et répéta le rituel, mais je commençais à douter. Cependant le texte avait été copié sur quelques manuscrits puis gravé dans la pierre et je me croyais à l'abri de l'oubli. Lorsque Charles II est monté sur le trône, j'aurais dû être de la fête, j'aurais dû orner son front. Sortie de ma tombe et de ma boîte, j'aurais été déposée sur une table devant une fenêtre. Un serviteur zélé m'aurait lustrée pour que je retrouve mon éclat. J'étais prête! Mais mon gardien s'est éteint quelques mois avant la fin de cette satanée République du Commonwealth et il a emporté son secret, mon secret. Il a bien tenté de parler à son fils, de lui expliquer le sens des phrases, mais ce grand dadais, tout ému par la maladie de son père a dit oui à tout, sans comprendre. Je le soupçonne d'avoir cru que le vieux avait un peu perdu la tête. Voilà comment cet idiot a enterré son père sans savoir de quel trésor il était devenu le gardien.
Un mot de l'auteur
Je suis fan de Sherlock et que j'aime particulièrement cette nouvelle qui montre un peu de la vie à Bakerstreet. Je pense à l'introduction à chaque fois qu'il faut faire le ménage... En voyant le thème de l'AT, j'ai eu envie de parler de cette nouvelle, et pour éviter de paraphraser, j'ai décidé d'un point de vue peu commun : celui de la couronne oubliée. De quoi pouvait-elle rêver pendant ces siècles d'obscurité, que savait-elle de l'extérieur, que peut-on ressentir quand on cause la mort d'un homme.... C'était marrant de se prendre pour un morceau de métal si chargé d'histoire. L'accueil des scribtonautes a été une très agréable surprise.